Aujourd’hui, la plupart des bits quantiques (qubits) développés pour l’ingénierie quantique sont réalisés avec des supraconducteurs ou avec des électrons dans des semiconducteurs. Avec les mêmes composants électroniques en silicium, matériau usuel des transistors classiques, mais en les miniaturisant à l’extrême (largeur et longueur inférieures à 50 nm), les chercheurs ont conçu d’excellentes boîtes quantiques qui fonctionnent à très basse température (moins de 100 mK). Ces boîtes quantiques permettent d’isoler une charge unique (électron ou trou). Le spin porté par cette charge constitue le qubit.
Habituellement, le spin est manipulé avec un champ magnétique radiofréquence (en RMN par exemple). Depuis quelques années, les chercheurs de notre laboratoire ont mis au point une alternative très prometteuse en utilisant les trous plutôt que les électrons car, dans le cas du silicium, le spin des trous peut être couplé avec un champ électrique radiofréquence. Ainsi, ce couplage est plus simple à réaliser expérimentalement puisqu’il suffit d’appliquer une tension radiofréquence sur la grille du transistor.
Pour avoir un qubit de spin fonctionnel il ne suffit pas de manipuler le spin, il faut encore être capable de lire son état. Pour cela, les chercheurs utilisent deux boîtes quantiques couplées où la seconde boîte sert de détecteur de spin, en utilisant le principe de Pauli qui impose que deux spins sur le même niveau d’énergie d’une boîte doivent être opposés. Dans la pratique, la manipulation du spin comme sa lecture nécessitent d’appliquer des tensions bien précises, mais qui sont
a priori inconnues. Il est donc nécessaire de caractériser finement le spectre en énergie des qubits afin de pouvoir ensuite leur appliquer les bonnes tensions. Pour cela, les chercheurs utilisent une spectroscopie à deux fréquences.
Ces résultats permettent d’ajuster les paramètres de fonctionnement du qubit de spin « tout électrique » pour la suite des projets en cours dans notre laboratoire, notamment pour la fabrication à grande échelle de processeurs quantiques.
Schéma de principe du nanofil de silicium entre deux grilles de transistor. Sous chaque grille, un trou est piégé. Le spin de ce trou est par exemple « up » (flèche rouge) ou « down » (flèche bleu). Le spin peut se transférer d’une grille à l’autre (flèche verte) en appliquant les bonnes tensions. Un signal 10 GHz est appliqué pour faire tourner le spin dans la boîte « qubit ». Dans l’autre boîte, l’état de spin est détecté par un résonateur à la fréquence de résonance 500 MHz.
Aller plus loin :
Pour obtenir le spectre en énergie des qubits, les chercheurs appliquent une technique de spectroscopie à deux fréquences.
Un premier signal à haute fréquence (dizaine de gigahertz) correspond à la transition entre les deux états 0 ou 1 du qubit. Cela donne accès au facteur g, dit « de Landé », qui traduit la relation entre le champ magnétique statique appliqué (B) et l’énergie (E), selon la formule E=gµB (où µ est une constante). Le deuxième signal permet de lire très rapidement (environ 10 µs) l’état de spin grâce à la seconde boîte (détecteur) et selon la technique dite de réflectométrie radiofréquence. Cela est rendu possible par une autre résonance, créée par le détecteur, et une inductance de quelques centaines de nH placée en série. En travaillant à la fréquence de résonance (environ 500 MHz), on devient extrêmement sensible aux transitions entre les deux boîtes, notamment en lisant la phase du signal réfléchi.
Outre le facteur de Landé, il est possible de déterminer le couplage tunnel entre les boîtes, ainsi que la force du couplage spin-orbite propre à nos qubits de trous. Ces paramètres permettent en retour d’appliquer les bons signaux sur le qubit, pour optimiser par exemple le temps de cohérence.