Les matériaux supraconducteurs conduisent l'électricité avec une résistance nulle en-dessous d’une certaine température, appelée température critique. Certains de ces matériaux sont déjà très utilisés pour la production de champs magnétiques intenses (imagerie par résonance magnétique, accélérateur de particules du CERN, Tokamaks de ToreSupra ou d’ITER…) Le transport d’électricité sans pertes pourrait également apporter une contribution significative dans le domaine de l’énergie. Pour les applications il est évidemment souhaitable que la température critique soit élevée, et les recherches sur de nouveaux matériaux se poursuivent, avec l’espoir de trouver un jour un supraconducteur à température ambiante. De nombreuses équipes cherchent dans cette direction, sur différentes familles de composés comme les cuprates, les pnictides à base de fer, ou des composés d’atomes légers sous très forte pression. En parallèle de cette course vers les hautes températures, la supraconductivité est aussi un axe majeur de recherche fondamentale.
C'est ainsi que dans notre laboratoire, nous nous intéressons à la supraconductivité* d’une famille bien curieuse. Ce sont des systèmes métalliques, à fortes corrélations électroniques, qui montrent des propriétés surprenantes à basse température, où les électrons se comportent comme s’ils étaient jusqu’à 1 000 fois plus massifs qu’un électron libre. UBe13 est un des
supraconducteurs* les plus mystérieux. Depuis plus de 30 ans les scientifiques n’ont pas été en mesure d’expliquer exactement son comportement dans un champ magnétique appliqué. En effet, bien que sa température critique soit basse, environ 1K, la supraconductivité survit dans un champ magnétique très intense, de plus de 12 Tesla. Cela dépasse très largement une
limite théorique** qui serait d’environ 2 Tesla. De plus la dépendance de ce champ critique avec la température a une forme très anormale.
En collaboration avec des chercheurs de l’université japonaise de Tohoku, nous avons mesuré l’effet du champ magnétique sur la supraconductivité de UBe13 à très basses températures et sous une très forte pression appliquée, jusqu’à 6 GPa - 60000 bars (Figure). Nous avons découvert que le diagramme de phase évolue fortement avec la pression, et que la supraconductivité résiste encore mieux au champ magnétique aux plus hautes pressions ! Tous ces résultats sont parfaitement expliqués par un modèle de supraconductivité très particulière. Il s’agit d’une supraconductivité « triplet » (dite «
p-wave »), dans laquelle les électrons de la paire peuvent aussi avoir les spins parallèles. L’état supraconducteur final serait en réalité un mélange de deux types de supraconductivité (ou paramètres d’ordre) distincts, dont les poids respectifs sont modulés par le champ magnétique et la pression. Cela fait de UBe13 un des supraconducteurs les plus exotiques, candidat idéal pour la supraconductivité « topologique » actuellement très recherchée dans le cadre de l’information quantique.
* Pour qu’un matériau devienne
supraconducteur, il faut que ses électrons de conduction se lient pour former des paires dites de Cooper. Cela implique l’existence d’une interaction attractive entre deux électrons, alors que ceux-ci, tous deux chargés négativement, ont naturellement tendance à se repousser. Pour la grande majorité des supraconducteurs dits conventionnels, ce mécanisme est l’interaction entre les électrons et les vibrations du réseau cristallin. Mais dans le cas des
supraconducteurs non-conventionnels, ce mécanisme peut être différent, faisant par exemple entrer en jeu une interaction avec des fluctuations magnétiques. Cela peut conduire à des états supraconducteurs très différents, aux propriétés surprenantes, parfois à avec des températures critiques très élevées (cas des cuprates « Hauts-Tc »).
** La
limite théorique, appelée limite paramagnétique ou de Pauli, vient du fait que dans un supraconducteur, les électrons d’une paire ont normalement des spins opposés (le spin est le petit moment magnétique porté par un électron, une propriété purement « quantique »), alors que sous champ magnétique, les spins ont tendance à s’aligner sur le champ, ce qui casse les paires.