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À la source de la lumière… sur silicium

Idéal pour transporter la lumière, le silicium est en revanche un piètre émetteur. Notre laboratoire explore plusieurs pistes pour contourner cet obstacle.
Publié le 3 mars 2015
Matériau phare de la microélectronique, le silicium, dont les propriétés de conduction de la lumière sont exceptionnelles, est en passe de révolutionner les communications optiques. À ceci près que c’est un piètre émetteur de lumière. Pour y remédier, il convient de l’associer à d’autres matériaux, afin que toutes les fonctions de la photonique puissent être, à terme, intégrées sur les puces photoniques sur silicium. Ce à quoi s’emploie le CEA à différents horizons technologiques. De fait, aujourd’hui, les premières puces photoniques sur silicium n’intègrent pas de source de lumière. Plus précisément, celle-ci est « préfabriquée » avant d’être collée sur le dispositif. Or comme l’indique Badhise Ben Bakir, ingénieur-chercheur au CEA-Leti : « cette intégration pièce par pièce est complexe et peu efficace. » À l’inverse, l’association du silicium avec d’autres matériaux, en amont des étapes de gravure, permettrait d’élaborer les sources de lumière sur les puces en même temps que les autres fonctions, via les techniques de fabrications collectives CMOS mises en œuvre dans les fonderies de silicium, à la fois efficaces et précises.

L’hybridation silicium - III/V

L’hybridation du silicium avec un matériau semiconducteur dit III/V (« trois-cinq ») est la perspective la plus avancée à ce jour au CEA. Il s’agit d’une famille de matériaux très bons émetteurs de lumière, déjà utilisés notamment pour la fabrication de diodes électroluminescentes ou de lasers. Comme le précise Badhise Ben Bakir, « il ne s’agit pas seulement de permettre la fabrication de laser III/V sur silicium par les technologies CMOS, mais de réaliser une véritable hybridation dans laquelle les deux matériaux apportent le meilleur de leurs propriétés respectives. Le silicium pour la cavité et l’intelligence optique, le III/V pour le gain en puissance. » Avec, à la clé, des possibilités infinies : non seulement celle de pouvoir graver un laser sur un wafer de silicium, mais à terme, celle d’imaginer, grâce à la flexibilité des technologies CMOS, des cavités lasers nouvelles, des lasers avec des longueurs d’ondes différentes en batterie, la possibilité de moduler ou recombiner la lumière à loisir, bref, toute une circuiterie optique, y compris la plus complexe. « L’hybridation du silicium avec un matériau III/V pour la photonique est une discipline à part entière », confirme Badhise Ben Bakir.
En la matière, l’expertise des scientifiques du CEA-Leti tient en partie à leur maîtrise des processus d’adhésion des III/V sur silicium au niveau moléculaire. Sans recours à une colle, ces procédés peuvent garantir la pureté des interfaces, indispensable pour faire communiquer optiquement les deux matériaux. En outre, les efforts portent désormais sur le développement des technologies de façonnage des sources de lumière par gravure et l’amélioration de leurs performances. Avec un objectif concret : la réalisation de câbles optiques actifs pour augmenter le débit des informations dans les data centers d’ici deux à trois ans. Pour l’heure, une vingtaine de brevets ont déjà été déposés et plusieurs partenariats mis en place avec des industriels, en particulier STMicroelectronics et HP.

La piste du germanium

Au-delà, le CEA développe un autre projet, à base de germanium, pour l’intégration de sources lumineuses sur une puce photonique sur silicium. Comme l’explique Vincent Calvo, ingénieur-chercheur dans notre laboratoire : « contrairement aux III/V, qui nécessitent un véritable développement technologique pour les adapter à l’environnement CMOS, le germanium est déjà utilisé pour la fabrication de transistors ou de photodétecteurs en microélectronique. » Si ce n’est que, jusqu’à récemment, personne n’avait réussi à mettre en évidence un effet laser avec du germanium. Ce à quoi sont parvenus des chercheurs de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) en 2010. « Cela faisait des décennies que l’on cherchait un matériau émetteur de lumière directement compatible avec les technologies CMOS, s’enthousiasme Vincent Calvo. D’où une grosse activité sur le sujet. » Un sujet à ce point prometteur que le CEA en a fait un projet « phare » associant les directions des Sciences de la matière et de la Recherche technologique. Concrètement, les chercheurs du MIT ont réussi à obtenir un effet laser à partir de germanium en y ajoutant des impuretés, des dopants• à électrons. De leur côté, ceux de notre laboratoire et du CEA-Leti axent leurs travaux sur le germanium déformé mécaniquement. « Dans les deux cas, cela modifie la structure électronique du germanium, permettant l’effet escompté, explique Vincent Calvo. Faire l’un, l’autre ou les deux est ensuite une question de compromis liés à la fois à la physique du germanium et aux contraintes technologiques. » Par ailleurs, des calculs théoriques prévoient qu’un alliage de germanium et d’étain devrait être un bon émetteur de lumière, piste également explorée par les scientifiques du CEA.

L’effet laser par pompage électrique

L’objectif à cinq ans est de démontrer un effet laser par pompage électrique du germanium, et ce pour des seuils plus faibles que dans le cas des expériences du MIT. Pour ce faire, les scientifiques avancent sur plusieurs fronts. Dans notre laboratoire, en plus d’une activité expérimentale poussée sur les propriétés des structures déformées, les calculs de physique du solide doivent permettre de déterminer la structure électronique du germanium dopé et déformé. En parallèle, les équipes du CEA-Leti concentrent leurs efforts sur la conception de cavités laser à base de germanium et sur la fabrication de couches de germanium fonctionnelle de très haute qualité. Il s’agit en effet de réaliser les étapes technologiques qui seront compatibles avec les technologies CMOS de fabrication des futurs composants laser. Les résultats de ces travaux font actuellement l’objet de deux dépôts de brevet et les premiers essais de croissance, hors équilibre et à basses températures, d’alliages germanium-étain sont attendus pour 2015.
« À ce jour, il est impossible de dire quel sera l’avenir industriel du germanium pour l’effet laser, précise Vincent Calvo. Mais le sujet est prometteur et attise la curiosité des industriels. S’il y a un «a près III/V », ça peut être une piste. » De quoi définitivement faire du silicium le matériau roi de la photonique !

©CEA
Article paru dans Les défis du CEA n° 197 (mai 2015)